Kermesse à Parnans-sous-Montignac

L'école primaire privée de Parnans-les-Monts accueillait les enfants de la commune, venus du bourg et des villages voisins, soit au total deux-cent-dix-huit enfants, du cours maternel au cours moyen.

L'école privée avait été fondée, il y a de cela cent-trente ans par le comte d'alors. En bon notable, le châtelain avait donné le terrain et les fonds nécessaires à la construction de l'école Sainte Rolande - la patronne de la famille -. Bien sûr, il y avait eu la fondation d'une école publique par la très laïque municipalité de Parnans, dans les années 30. Mais jamais cette dernière n'avait supplantée l'école privée confessionnelle voulue par les notables locaux : le châtelain et le curé. Si bien qu'elle scolarisait 80 % des enfants de la commune.

L'usufruit des bâtiments donnés à la paroisse, avait été confié à une association de gestion qui reconduisait depuis plus d'un siècle la comtesse de Montignac à sa tête. Après sa tante, la comtesse douairière, c'était à Béatrice Goulard de Montignac, marié à un dentiste devenu par hasard un homme politique d'envergure nationale qu'avait échu la lourde responsabilité de gérer les équilibres financiers de l'école. Les ressource financières de l'établissement scolaire provenaient bien sûr des contributions des familles, des subventions accordées par la municipalité - de droite - et de cette kermesse annuelle qui permettait de financer des projets pédagogiques comme la classe de mer à Saint-Roman-les-Flots.

Cette année comme toujours depuis la fondation de l'école, le comte accueillait dans le parc du château du Bosquet, l'évènement. Un banquet festif, auquel chacun avait contribué, avait réuni à la table du hobereau local, la population de la commune dans une proximité familiale. La mère Blanchard avait fait ses fameuses merveilles qui régalaient les papilles des petits et des grands, le père Dubrez avait tué le veau gras. A quinze heures, la communauté villageoise s'était réunit devant l'estrade dressé dans la cour du château.

Le comte Hubert, sa cousine la comtesse Béatrice et la comtesse douairière étaient assis au premier rang. Le père Hervé, curé de la paroisse était à la droite de la maîtresse des lieux. Les enfants joueraient au théâtre la vie de Saint Maximilien au IIIe siècle de notre ère. Le spectacle tour à tour chanté et joué, fut de l'avis de tous, apprécié. Puis vint le moment de la remise des prix d'honneur. Le comte, au côté de la directrice de l'école remis les prix d'honneurs aux élèves s'étant distingués par l'excellence de leur travail dans des disciplines aussi diverses que la poésie, les mathématiques, l'orthographe ou encore la grammaire. Il était 16h30, la cérémonie ayant pris fin, la fête n'en était pas moins terminé. C'est ainsi que les familles de l'école, parmi lesquelles de nombreux métayers et locataires de "M'sieur le Comte", s'amusèrent au chamboule-tout, à la pêche à la ligne, ou encore au football sous les fenêtres du château séculaire.

Hubert était en cette journée moins le ministre de la Monachie que le père de la communauté villageoise, maillon visible de la chaîne des siècles. Car à Parnans-les-Monts, malgré la modernité ambiante et les tentatives des gouvernements indépendantistes ou socialistes d'y mettre fin, il était encore bon de vivre à l'ombre du clocher et du château.

Revenu d'Allancia, où elle était ambassadrice de Francovie auprès du Saint-Empire, Philippine n'aurait manqué pour rien au monde ce rendez-vous familial. Elle était venu avec son mari Benoît qui avait reçu les félicitations de son beau-père pour sa promotion au poste d'inspecteur général des monuments historiques. Le couple incarnait la nouvelle génération. Hubert n'avait pas de fils. Avec lui le titre de comte passerait à la branche avaroise de la famille, celle issue de Robert, le très réactionnaire frère cadet de Gonzague, le 30e comte, ayant payé de l'exil ses convictions ultraroyalistes sous l'Empire. Qu'importe, Hubert avait de beaux héritiers mâles qui égayaient le cœurs des vieilles parnansiennes. D'autant plus que bien Lumeau-Péricard de nom, ils ressemblaient aux Montignac. Ainsi Conrad, François, Enguerrand et Gonzague étaient-ils devenus la coqueluche de dames. Ce sont eux qui perpétueraient la lignée des comtes en leurs terres, fut-elle féminine. Une nouvelle réjouissait Hubert. Ses enfants allait se réinstaller en Francovie. Accord tacite dans le couple, Philippine envisageait de mettre entre parenthèse sa carrière d'ambassadrice afin de permettre à son mari d'assumer ses nouvelles fonctions. L'Université de Micropolia, spécialisée en relations internationales, lui avait déjà fait des propositions très intéressantes.

Le repas, sans être guindé avait suivi certaine convenance, la table d'honneur réunissait, autour du comte et de la comtesse Béatrice, à la droite du premier la comtesse douairière et la gauche de la seconde, le sous-préfet de Bourmizas, représentant de Sa Majesté avait honoré de sa présence la petite fête de village, à dessein. L'homme ancien attaché de préfecture flattait son ministre avec lequel il semblait en grande discussion sur les affaires du ministère. A la droite de la comtesse douairière le père Hervé jouissait d'une déférence augmenté par sa réputation de saint homme. Tour à tour duché puis république avant de devenir communauté de communes, le clan de Mézénas restait une société de châtelains qui régnait sur les âmes comme les pères sur leur famille. La modernité, si elle avait réduit les écarts de niveaux de vie, de situation, si elle avait accru la mobilité sociale n'avait rien enlevé des anciennes hiérarchies dont les usages confirmait la persistance.